CHRONOS 2023

Dans la perspective de l’exposition à la Piscine de Roubaix, Marc Alberghina développe la série des formes décorées en « faux-bois ». Plusieurs références se télescopent dans ce projet. Il y a tout d’abord le rapport au miroir d’eau de la Piscine comme métaphore de la rencontre entre la Méditerranée et la ville du Nord. La recréation du décor « faux-bois » est le point de départ de l’exercice. Les techniques consistant à imiter, par la peinture, les veines du bois sont récurrentes dans l’histoire des décors de la céramique en Europe : à Niderviller, Tournai, Vienne ou Sèvres.

Pour ce projet, Marc Alberghina remet à l’ordre du jour une technique de décoration à la main bien plus tardive, en usage dans l’entreprise Grandjean-Jourdan à Vallauris, et qui consistait, dans les années 1960-1970, à reproduire à la perfection les veines bois sur des formes paraissant elles-même taillées dans ce matériau. L’effet trompe l’œil de ces objets était parfait. La phase de peinture illusionniste était due aux pinceaux habiles des décoratrices. L’artiste apprit de l’une d’entre-elles cette manière de peindre le faux-bois.

Au-delà de la technique et de l’histoire, plusieurs significations se télescopent dans ce projet qui est avant tout une métaphore écologique du monde d’aujourd’hui. Le bois est sensé flotter de sorte que les formes font songer à un paysage d’estran. Si des souches sont perceptibles, d’autres formes vivantes apparaissent comme la femme-tronc allongée, à la fois déesse-mère et représentation – on retiendra celle des peintres préraphaélites – de l’Ophélie. Le cri sourd de l’héroïne est amplifié par la présence de la cigale, symbole de la Méditerranée et messagère de l’été. Par centaines, menacées par un crapaud, celles-ci bourgeonnent sur le corps tronçonné de l’égérie pétrifiée ainsi que sur l’autoportrait de l’artiste assistant, vieillissant et impuissant, à ce récit qui convoque tant la mort que la renaissance de la nature.

Dans différentes vitrines, Marc Alberghina complète son dispositif par d’étonnantes allégories du temps. On évoque souvent la terre et le feu lorsqu’il s’agit de céramique mais la constante temps est aussi importante. L’artiste réalise des gerbes de fleurs à l’aide de « montres pyrométriques », des bâtonnets pyramidaux en céramique utilisés comme jalons pour contrôler la cuisson. À une température prédéfinie, ceux-ci commencent à fondre et se couchent. Jouant avec cette caractéristique, les accumulant par centaines, l’artiste crée d’effrayantes compositions florales dégoulinantes. Si l’artiste ne fait pas implicitement référence à la beauté déclinante des bouquets de fleurs peints, notamment, par Henri Fantin-Latour, ses compositions symbolisent également l’ambiguïté des contrats sociaux, du don de fleur comme image de la corruption et du mensonge qu’il cherche à faire oublier.

Ludovic Recchia