P. FAVARDIN
En créant cette œuvre Marc Alberghina décadenasse au fond de ses entrailles une porte à double battant couverte de ferronneries splendides mais bardées de défenses.
Car cette porte est celle derrière laquelle s’abritent mythes et symboles, rêves cauchemardesques et imagination les plus folles. Après avoir tracé dans notre civilisation un nombre considérable de voies toutes étrangères à la raison, le feu conserve tout son pouvoir de fascination pour les amateurs de l’étrange, du paranormal et des pratiques extrêmes. Ce sont les éternels rêveurs en quête d’épousailles métaphysiques avec cet élément que Gaston Bachelard place aux sources de nos expériences les plus intimes et les plus contradictoires. Pour établir un nouveau rapport à son moi, et toujours soucieux de purification et de renaissance, ce dont son œuvre témoigne à l’envi, Marc Alberghina va recourir à l’image métaphorique d’une auto-combustion du corps humain. Après avoir fait couler beaucoup d’encre chez les substantialistes du XVIIIème siècle, en quête de punitions divines, après avoir flirté avec les extravagances romantiques et la mauvaise foi de certains esprits rationnels, cette figure de la combustion avait longtemps disparu, pour ressurgir avec le renouveau du feu comme sujet artistique du XXème siècle finissant. Depuis les années 1980, le cinéma américain s’est emparé du sujet, faisant renaître le mythe en l’intégrant dans l’univers des cultures populaires.
Or, nous savons aujourd’hui, combien ces dernières ont été l’élément salvateur d’un art égaré dans les arcanes pseudo-duchampiens tracés par les serviteurs trop zélés d’un nouvel académisme. Dans son exigence de totale liberté esthétique, Marc Alberghina livre ici une œuvre violente et hypnotique, digne de la singularité du sujet. Il revient à Bachelard d’en avoir souligné la fascination qu’il exerce comme volonté de destruction et de nihilisme, et que le philosophe décrit ainsi : « Puisqu’il faut disparaître, puisque l’instinct de la mort s’impose un jour à la vie la plus exubérante, détruisons le feu de notre vie par un surfeu surhumain, sans flamme, ni cendre, qui portera le néant au cœur même de l’être. » (La Psychanalyse du feu, 1949). A cette fascination première, Marc Alberghina ajoute l’obsession d’une représentation artistique et métaphorique du phénomène qui s’échappe de la vie et dicte sa propre loi. La combustion du corps est un spectacle merveilleux et trompeur. Le corps qui s’offre au regard est une image, ou plus exactement un arrêt sur image. Il en a la netteté et la distance. Son histoire nous échappe à jamais, tout comme la tragédie qu’elle exprime. Il impose un silence distancié qui clôt l’œuvre sur elle-même. Car si le sujet le tourmente, ou à tout le moins le concerne, l’artiste ne veut pas mourir avec lui, si ce n’est, de son propre aveu, dans la splendeur de l’œuvre céramique et de l’émail qui la recouvre.
Levant le masque, Marc Alberghina dévoile le sourire ambigu, un peu sardonique, du maître de cérémonie nous conviant à une farce macabre relevant du fait divers comme de la magie, et se prêtant comme telle aux perceptions les plus contradictoires. En réalité, la représentation de ce phénomène étrange tire sa puissance, comme toujours pourrait-on dire, du dialogue de l’auteur avec Vallauris, son référent artistique primordial. Cette combustion volontaire est peut-être celle de sa ville d’élection dont le passé glorieux semble s’être autodétruit dans le dérisoire et l’anecdotique. Mais cette lugubre mutation s’érige ici en une œuvre d’art à la fois riche de signification et virtuose dans son exécution.